âEn L1, jâai commencĂ© Ă faire des cauchemars, presque toutes les semaines. Jâai cru que câĂ©tait Ă cause de la pression et des cours, jusquâĂ ce que ça devienne vraiment compliquĂ© Ă gĂ©rer. Au bout dâun moment, je me suis rendue compte que ça tournait toujours autour de souvenirs avec mon pĂšre, certains quand jâĂ©tais toute petite. Câest comme sâil avait fallu que je mâĂ©loigne de lui pour comprendre ce quâil mâavait fait.â
Sarah, 24 ans
Quand on change de ville, de vie, dâappart, de groupe dâami·es ou quâon vit des moments de transformations intenses, il peut arriver quâon expĂ©rimente des souvenirs trĂšs vivaces qui appartiennent pourtant au passĂ©. Ces souvenirs peuvent se rĂ©veiller Ă des moments inattendus et nous dĂ©stabiliser. Câest le cas en particulier si on a vĂ©cu des violences, dans sa famille, dans des relations passĂ©es ou de la part dâinconnu·es.Â
Quâest-ce qui mâarrive ?
En regardant les effets neurologiques des violences, on constate que quand on vit des Ă©vĂ©nements dangereux, le cerveau adopte des mĂ©canismes de protection. Un danger comme une agression sexuelle ou un viol conduit le cerveau Ă sonner toutes les alarmes possibles en produisant de grandes quantitĂ©s dâhormones du stress (lâadrĂ©naline et le cortisol). A haute dose, ces hormones sont toxiques et potentiellement mortelles. Le cerveau va donc chercher par tous les moyens Ă se protĂ©ger, en faisant en quelque sorte « disjoncter » le systĂšme nerveux. Cela peut crĂ©er des sensations Ă©tranges : faire comme si on se voyait de lâextĂ©rieur, ou mĂȘme comme si on nâhabitait plus son corps.
Quand cela se passe, les souvenirs se bloquent dans une partie du cerveau qui sâappelle lâamygdale cĂ©rĂ©brale : ils ne peuvent ĂȘtre traitĂ©s et rangĂ©s comme les autres souvenirs. Ces souvenirs « mal rangĂ©s » peuvent ressurgir par la suite, parfois des annĂ©es plus tard, diffĂ©remment des autres souvenirs. Ils peuvent ĂȘtre dĂ©clenchĂ©s par des Ă©lĂ©ments inattendus (une parole, une odeur qui nâont rien Ă voirâŠ) et faire immĂ©diatement renaĂźtre des pensĂ©es trĂšs dĂ©rangeantes et invasives. Dans ces souvenirs-lĂ , tout se mĂ©lange : le temps, les faits, et parfois mĂȘme ce qui a Ă©tĂ© dit (ou fait) par nous ou par lâagresseur. Ce sont des moments qui peuvent faire trĂšs peur et nourrir beaucoup de confusion et de culpabilitĂ©.
Ces phĂ©nomĂšnes ne se produisent pas parce que lâon serait bizarre ou dĂ©traqué·e ; ils font partie des symptĂŽmes associĂ©s au syndrĂŽme de stress post traumatique. Ce sont mĂȘme au contraire des rĂ©actions formidables du cerveau pour se protĂ©ger et survivre. MĂȘme si ce nâest pas toujours facile de vivre avec.
En plus du cĂŽtĂ© neurologique, on peut aussi activement (mĂȘme sans sâen rendre compte) chercher Ă ne pas penser Ă certaines choses, ou à « laisser derriĂšre nous » des vĂ©cus pour se concentrer sur le prĂ©sent ou sur le futur. Cela est frĂ©quent des souvenirs qui nous provoquent de la honte ou un sentiment de culpabilitĂ©, ou qui nous semblent incomprĂ©hensibles. On tente alors de les « rĂ©Ă©crire » en les rejouant, pour y changer le sens ou se donner un rĂŽle que lâon supporte davantage. Cela peut arriver Ă propos dâune dispute avec notre sĆur oĂč on a Ă©tĂ© particuliĂšrement mĂ©chant·e autant quâautour de la sensation de la main de cet inconnu dans le bus, qui sâest glissĂ©e le long de nos cuisses. Vouloir oublier est une rĂ©action courante, les souvenirs restent pourtant, et peuvent refaire surface plus tard.
Quâest-ce que je dis aux autres ?
Quand il nous est arrivĂ© des choses difficiles, ce nâest pas Ă©vident de savoir si on le dit aux autres. Dans une relation intime, la question peut vite se poser. Que faire si les violences ont impactĂ© ma santĂ© mentale ou physique ? Et si cela mâempĂȘche de faire les choses que les autres font ?
Câest une trĂšs belle marque de confiance que dâarriver Ă le dire ; ce nâest pas non plus une obligation. On peut tout Ă fait choisir de dire ce quâon veut, et taire ce quâon ne veut pas partager. On peut dire « Jâai vĂ©cu des choses difficiles qui mâempĂȘchent de faire ceci ou cela, je nâai pas envie de tout te raconter tout de suite mais câĂ©tait important pour moi que tu le saches ». Câest normal de prendre son temps et de sâassurer de la confiance quâon peut avoir en lâautre.
On peut choisir une personne de confiance, parmi nos ami-es ou auprĂšs des professeur-es, de lâadministration, des Ă©lu-es Ă©tudiant-es par exemple. Câest important dâavoir une personne qui ne nous jugera pas, et qui pourra nous soutenir si ça devient trop lourd. Surtout si ça impacte nos Ă©tudes, notre concentration ou notre travail par exemple. On peut sâadresser Ă la cellule dâĂ©coute de notre universitĂ©, aux psy ou assistantes sociales de lâĂ©tablissement ou venir sur le tchat – en cliquant en haut Ă droite, pour trouver un soutien sur le long terme, Ă son rythme.